Le visage de Dieu

Nous entrons dans la semaine sainte où le visage de Dieu, à travers Jésus torturé, nous apparaît défiguré par la souffrance, reflet de toutes les souffrances humaines. Mauro, sma au Niger, nous partage le visage du Dieu des migrants qui ont cherché refuge chez lui.

Sculpture dans la chapelle du Centre Mgr Brésillac de Calavi, Bénin.

Sculpture dans la chapelle du Centre Mgr Brésillac de Calavi, Bénin.

Kaaba n’est jamais parti de Niamey.
Il a mendié des sommes insuffisantes pour un voyage inexistant. En échange, il a demandé qu’on lui dise comment était le visage de Dieu. Il dit qu’il l’a rêvé tout petit, et que son Dieu n’avait pas d’oreilles et qu’à la place il portait de longs cheveux dorés. Il n’a jamais raconté son rêve, sinon à une tante lointaine qu’il n’a plus jamais revue. Un rêve qu’il ne manque pas de rappeler. Depuis des années, le visage du Dieu de Kaaba est absent de la Sierra Leone. Une terre dévorée par la guerre civile avec des mains amputées pour que les pauvres n’aillent pas voter. Son rêve, par contre, n’a pas été amputé. Seulement, il ne le raconte à personne. À qui pourrait ressembler Dieu depuis qu’il l’a vu et ne l’a pas abandonné. Il a menti quand il disait qu’avec l’argent reçu il pouvait se rapprocher de sa maison. Les yeux baissés, il dit qu’il reviendra pour saluer et faire d’autres demandes sur Dieu.

Le Dieu de Rita se retrouve avec un visage étrange. Elle a été déclarée VIH positive. Elle pèse maintenant exactement 31 kilos, et la maladie se transforme en tuberculose. Des années de voyage et deux enfants : le premier nommé Emmanuel pour que Dieu se tienne à ses côtés et l’autre, nommé Samuel, a oublié sa mère. Rita est arrivée il y a trois mois, épuisée après avoir traversé la solitude. Celle qui l’a fait partir et qui la fait revenir. Seulement, maintenant, sa maladie dévoile les années qu’elle a perdues à chercher ses enfants sur les sentiers du vent. Elle mange quand cela lui arrive et se soucie seulement de fuir. Seule la peur l’accompagne en cachette comme une sœur. Par chance, il y a un Dieu même pour les migrants, Rita a trouvé une place à l’hôpital. Parfois, pour retrouver la vie, il faut tomber malade ou être proche de la mort.

Dieu est arrivé vers midi avec la peur écrite sur son visage. Gaëlle avait décidé d’étudier à l’université de Niamey. La mort de son père a retardé son inscription. Gaëlle doit attendre l’année académique suivante. Elle va trouver une compatriote camerounaise qui l’accueille dans sa maison. En échange, celle-ci lui demande, à elle et à quinze autres filles qu’elle accueille, des services nocturnes pour ses clients. Le visage de Gaëlle était marqué par la déception et les cicatrices de son groupe ethnique. Mais la plus grande cicatrice était cachée ailleurs. Gaëlle cherche une maison parce qu’elle a été chassée en refusant de payer avec son corps. Elle se retrouve seule comme lorsqu’elle est partie. Près de sa mère se trouvent six autres enfants. Elle est l’avant-dernière de la famille et veut étudier la médecine. Son Dieu lui a trouvé une chambre précaire et une vie d’occasion.

Guillaume est vétérinaire de profession.
C’est un réfugié de Goma, du Nord Kivu de la république démocratique du Congo. Il exhibe l’attestation qui lui rappelle son identité éphémère. La guerre sans fin du Congo grandit parmi les diamants, le coltan et les autres minerais rares de la technologie de pointe. Il n’a pas de quoi manger et s’installe dans un endroit pour dormir. Il a sur son visage la guerre qu’il a laissée entre les mains des trafiquants de mort. Il se contente de garder sur lui un document à en-tête avec la photo d’identité. Dans environ un an il aura la réponse de la Commission Nationale d’Éligibilité. Il deviendra bientôt un chevalier inexistant de la joute humanitaire. Il apprendra le métier de survie au quotidien sans d’abord demander la permission. Les guerres se creusent ailleurs et font fuir au loin ceux qui ne retournent jamais. Il s’est échappé de son pays pour trouver un billet pour un bon repas d’un jour. Demain on verra car à chaque jour suffit sa peine. Se tourmenter n’a pas de sens et ne sert à rien.

Massia Calvin est un pâtissier qui vendait des téléphones cellulaires à Bamako en guerre. Il n’a pour richesse que ses vingt ans et dit qu’il est comme l’enfant prodigue qui a réclamé l’héritage de son père. Le frère aîné est resté à la maison pour cultiver la terre et sera peut-être content si on fait la fête. Il était mort et est revenu à la vie avec une paire de lunettes aux verres sombres pour regarder comment tourne le monde. Le Cameroun est un pays étrange qui cultive l’émigration des jeunes pour éliminer les problèmes à la racine. À vrai dire, son Dieu ne sait pas bien quoi faire et l’accuse d’encourager la migration illégale et même de gagner sa vie comme passeur.

Kaaba ne cherche nulle part du travail. Il espère retourner chez lui et se demande à qui ressemble Dieu.

Mauro Armanino, sma Niamey, mars 2013