Galères dans les sables du Sahel

Constantin, parti du Cameroun il y a quelques années, a voyagé au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée et a séjourné en Gambie et au Sénégal. En suivant des itinéraires improbables, il a finalement atteint la Tunisie. Pendant trois ans, il travaille comme journalier à la cueillette des tomates et, compte tenu du climat intimidant du pays, il dort sous les oliviers. Après avoir réuni l’argent nécessaire pour les “passeurs”, il a tenté à trois reprises d’atteindre la mer, montrant à chaque fois sa bonne volonté quant à l’issue du voyage. La dernière tentative lui a été fatale car les garde-côtes tunisiens l’ont rattrapé, arrêté, dépouillé de ses biens et abandonné dans le désert qui jouxte celui de l’Algérie. C’était la nuit et les soldats se contentaient de montrer aux migrants les lumières que l’on voyait briller au loin. Lui et ses amis ont marché de nuit et survécu au désert pendant quatre jours.

 Lorsqu’ils atteignent une oasis de rafraîchissement et de salut, dans la première ville algérienne où ils séjourneront par la suite, ils sont abordés par des militaires. Ils sont arrêtés, accompagnés puis détenus dans un centre de transit jusqu’à leur expulsion définitive et leur déportation vers le désert qui prétend séparer l’Algérie du Niger. Constantin, arrivé à Niamey en camion, s’inscrit auprès de l’Organisation internationale pour les migrations dans l’idée de rentrer avec ceux qui restent de la famille qu’il a laissée au Cameroun. Il espère arriver rapidement dans son pays pour raconter à ses enfants, qui ont entre-temps grandi avec leur mère, ce que signifie apprendre par cœur la géographie écrite dans le sable de ses yeux.

Julien, originaire du même pays et débarqué à Niamey, par insouciance, compte bien faire de même. À bientôt 40 ans, il a quitté le Cameroun en 2009 pour rejoindre son avenir. Après avoir travaillé sept ans à Oran en Algérie, il s’est installé à Casablanca au Maroc. Par deux fois, il tente en vain de rejoindre l’Espagne par la mer.

Lors de la deuxième tentative, en 2017, le bateau a coulé et au moins sept de ses amis ont perdu la vie. Il décide alors de rejoindre la Tunisie pour tenter le voyage vers l’Italie. Trop tard, il se rend compte de l’erreur qu’il a commise dans sa précipitation. En effet, entre le Maroc et la Tunisie se trouve l’Algérie, qui recueille les migrants et les réfugiés pour les envoyer dans le désert qui recouvre tout. Julien, sans papiers, avec des médicaments périmés et sa formation informatique, demande de l’aide pour rentrer chez lui. Après tant d’années d’absence, il a l’impression qu’il manque le dernier chapitre au livre de géographie écrite de sa vie.

Mauro Armanino, Niamey, 4 février 2024