C’est en 1862 que les premiers objets quittent leur terre dahoméenne pour rejoindre les vitrines de bois installées dans une salle de la maison-mère alors située à Sainte-Foy-Lès-Lyon, puis en 1870, celles du cours des Brosses (actuel cours Gambetta) où la SMA venait de faire construire sa nouvelle Maison. Durant cette fin de XIXe siècle, d’autres pièces rejoignent le fond initial et s’organisent dans les trois salles formant ce qui deviendra, soixante ans plus tard, le Musée.
Au fil du temps, la collection s’accroît et amène la SMA à concevoir un espace muséal comme outil de leur activité qui doit être, selon Augustin Planque, un médiateur entre les missionnaires sur le terrain et l’action de la Société. Les collections sont alors présentées au sein des salles de la maison mère où se côtoient objets et animaux naturalisés. Témoins de leur engagement, la monstration de « fétiches » ou d’objets de la vie quotidienne permet d’alimenter leur discours, d’affirmer la nécessité de leur engagement, de mesurer les progrès réalisés et enfin d’expliquer, notamment par le biais des « croyances magiques » les difficultés de leur tâche. Mais ces premiers témoins des cultures africaines connaissent, au début du XXe siècle, d’autres périples, enfermés pendant un temps dans des caisses et placés dans d’obscures salles – loi de séparation des Églises et de l’État (1905) -, puis pour certains exhibés d’exposition en exposition.
Les années 1930 marquent un tournant dans la vie du musée avec la nomination de Jean-Marie Chabert comme Supérieur des Missions qui souhaite lui donner un nom, Musée des Missions Africaines, un nouvel élan pour mieux faire connaître les missions et les peuples africains – thèmes faisant écho à ceux prônés par Francis Aupiais. Le Musée doit être un lieu de « sauvetage de l’art nègre » et développer, par sa présentation et ses collections, « un caractère scientifique ». La réorganisation ne s’achève qu’en 1933 et l’inauguration, en 1935, donne lieu à une grande réception solennelle. Dès lors, le Musée s’organise en trois espaces, la « Salle d’égyptologie » – une momie, un fragment du livre des morts, une collection d’art africain chrétien, des instruments de musique…-, le deuxième étage consacré à l’histoire naturelle – animaux naturalisés, collections de pierre…- et enfin, le troisième étage avec les masques et la statuaire. Les deux premières salles sont agrémentées de dioramas et de photographies. Chabert définit les axes du musée en ces termes : « Les collections exposées sont destinées à mieux faire connaître nos missions et les peuples que nous évangélisons. Elles rendront plus tard de réels services à tous ceux qui s’occupent des sciences missionnaires. L’intérêt scientifique de ce musée ne peut vous échapper ; aussi […] nous adressons un appel à chacun de vous pour donner à notre société la notoriété dont elle a besoin en Europe ». Faute de moyens, d’entretien, de politique de conservation – gestion de l’accroissement des collections – et en l’absence de toute démarche muséologique pensée en terme scientifique, l’institution devient dans les décennies qui suivent un lieu « poussiéreux », un « musée bondieusard » selon l’expression de René Faurite.
Objets primitifs, objets frustres, objets documents, objets témoins… De la collecte à la collection, les objets africains n’ont cessé de changer de statut durant toutes ces années, entraînant des modifications quant à leur perception. Et pourtant, ils avaient une vie… une identité, une existence… Mais leur vie sociale fût ponctuée par des constructions, des reconstructions…. des transformations.
En 1979, le père Robert entreprend un (ou « le ») premier recensement… Une ère nouvelle s’ouvre avec la réorganisation de l’espace muséal autour de trois thèmes, vie quotidienne, vie sociale et vie religieuse et une démarche muséographique repensée – confiée à Jean et Françoise Ledru, des amis des Missions. Il se voit donner une nouvelle appellation : Musée Africain (des cultures de l’Afrique de l’Ouest). Le Musée vit, s’enrichit avec des personnalités telles qu’Alain Derbier, Charles Sanders, Pierre Boutin, ou encore plus récemment Michel Bonnemaison. Sous l’impulsion de Pierre Boutin, en 2000-2001, le troisème étage offre une nouvelle muséographie qui laisse percevoir que les régions stylistiques sont des espaces d’entre deux, des zones de contacts, de transition et qu’une sculpture ne saurait être appréhendée par le seul traitement de son identité : sculpture Dan, sculpture Wè … Elle interroge des notions aussi fondamentales que celles de l’origine, l’attribution mais aussi la distinction, la réinterprétation. Nombreux sont les missionnaires qui ont enrichi les collections par le don d’objets exprimant ainsi leur attachement à l’institution mais aussi leur volonté de montrer toute la diversité des créations ethnographiques et artistiques des peuples africains en des temps où le repli sur soi fût et reste encore un thème politique porteur. Nombreux sont également les missionnaires ayant participé à une meilleure connaissance scientifique des arts et des cultures africains par leurs travaux. Et toutes ces approches ne peuvent être ni sous-estimées, ni passées sous silence.
Puis en 2012, la gestion du musée est confiée à des laïcs (Association du Musée Africain de Lyon – AMAL), sa direction à Merja Laukia et la médiation culturelle à Céline Lathuilière. Entourées d’une équipe dynamique, avec Lucille Michaux, Manon Descombes, Gwenaëlle Deshayes… mais aussi de nombreux bénévoles et stagiaires, le musée développe ses activités envers le jeune public, recherche de nouveaux terrains d’expression (expositions d’art contemporain), ouvre ses murs aux artistes, aux diasporas, aux chercheurs et universitaires par des ateliers, des conférences avec l’aide de l’Association des Amis du musée Africain. Mais aujourd’hui, l’espace muséal ne répond plus ni par son espace ni dans son fonctionnement aux attentes de l’offre culturelle qui s’est transformée. La fréquentation n’a pu suffisamment se diversifier malgré les efforts de l’équipe allant rechercher des collaborations (La biennale de Lyon, le Musée du Quai Branly, etc.), ou explorant de nouvelles thématiques d’expositions.
Le Musée Africain de Lyon est né dans les fluctuations idéologiques, culturelles et scientifiques de la fin du XIXe siècle et a grandi parmi les interrogations de la mondialisation. Il a été un acteur essentiel dans la connaissance des arts et des cultures de l’Afrique subsaharienne ; une Afrique contemporaine, une Afrique vivante, non figée dans le passé ou le temps.
Avons-nous atteint notre démarche de diffusion et valorisation des arts et des cultures de l’Afrique subsaharienne ? Nous répondons « Oui » sans nul doute. Mais Les sociétés africaines doivent être évoquées dans leurs pleines contemporanéités. Et cette nouvelle page s’écrira désormais au sein du Carrefour des Cultures Africaines (CCA) de la Société des Missions Africaines où un espace d’exposition contribuera à développer de nouvelles manifestations et expositions qui donneront davantage de lisibilité au partage des cultures qui fut au cœur de la longue vie du Musée Africain.
Laurick Zerbini
Présidente du CA du Musée Africain de Lyon
Maître de conférences en histoire des arts d’Afrique subsaharienne, Université Lyon 2.